C’est
la rencontre avec la terre qui a résolument orienté
son intérêt vers la peinture. Lors d’un
séjour en Irlande, Agnes Sioda s’est sentie
interpellée par la féminité de ce pays
tout en rondeurs vallonnées, par la tendresse de
son sol humide et riche, où elle a senti une pulsation
de vie, comme le sang circulant dans un corps. Ainsi s’est
installé un processus de travail, à travers
une documentation informelle. Dans une démarche intuitive,
ceci deviendra une manière d’emmagasiner des
ressources intérieures. L’imaginaire prendra
le relais et la suite coulera comme l’eau d’une
rivière.
Si
aux origines un travail plus conceptuel établissait
déjà cette notion de série, ce sera
pour devenir cette démarche cohérente, motivée
par un flot ininterrompu d’émotions et d’expériences
intérieures. Cette démarche sérielle
s’appliquera de différentes façons.
Que ce soit par le support utilisé - papier de récupération,
papier perforé d’ordinateur - par les couleurs
de la palette ou par les thèmes exploités,
les tableaux de Agnes Sioda ne viennent jamais seuls. Mais
peu importent les surfaces qui servent de support à
son travail, elles ouvrent d’innombrables fenêtres
sur l’imaginaire. Les images sont toutes liées
par un fil invisible, et les différents ateliers
auront également une influence sur les séquences
qui ponctuent le parcours de sa peinture.
Le
contact avec la nature se situe à l’origine
des intentions, douces et calmes, qui guident le geste.
Ces expériences différées, où
les émotions s’allient à l’imaginaire,
où l’inconscient se manifeste sous la surface,
tissent un lien invisible (mais sensible) entre la mémoire
émotive et le geste quasi automatique, comme une
pulsation qui rythme l’exploration tactile. L’intuition
est architecte des images.
Le mouvement secret des émotions et de la vie crée
le lyrisme des images de cette peinture apaisante. Masses
et mystères enfoncent la surface. Des opacités
silencieuses et des transparences modulées obligent
à la contemplation de cet univers sans fond. La richesse
des formes organiques nous emmènent dans des paysages
intérieurs, territoires de textures et de lumière,
abîmes généreux, maternels et nourriciers.
Comme
un compte-gouttes, les énergies emmagasinées
lors de périodes de ressources s’épuiseront
tout doucement, distillées par le geste créateur.
Lorsque la coupe est vide, il faut la remplir à nouveau.
Et recommencera alors ce rituel de vases communicants, où
se déversent doucement les images intérieures.
Si l’intention initiale est précise, elle est
toutefois sans entraves et les images qui émergent
sont toujours issues d’une part égale de réceptivité
entre la mémoire émotive et ce qui se manifeste
sur la toile. Les couleurs s’accumulent sur la palette,
comme un écho, agissant comme la synthèse
du travail quotidien.
La
palette des couleurs, un carré de verre où
les couleurs à l’huile se mélangent,
est le témoin qui conserve la mémoire de la
journée. Telle une puissance parallèle, cette
surface échappe au contrôle. Elle deviendra
ultimement un objet de recherche, la manifestation d’un
besoin que l’artiste comblera rituellement dans des
œuvres monotypes. Chaque jour, au moment où
le travail s’achève, lorsque plus rien ne va,
l’artiste se tourne alors vers sa palette. A partir
de ces restes, l’artiste étale, enlève,
dilue les couleurs et compose une image. Elle en tirera
trois à quatre copies. Synthèse d’abstraction
pure, ce rituel permet, en lâchant prise, d’exploiter
des restes qui s’amenuiseront et de pousser le travail
toujours un peu plus loin. Les images de ce “journal”
étirent la journée de travail dans des points
de suspension. D’une image à l’autre,
la couleur s’estompe graduellement jusqu’à
son évanescence.